La poésie de Chimère
Comme une goutte d’eau dans un océan
Silence absorbe le temps, grain à grain.
Les jours disparaissent, je m’étire et j’attends.
Soudain, un moment, un instant, perte ou gain ;
la vie aura passé, disparu, faute de temps.
Seconde après seconde s’épuise mon monde.
Choix après choix et idéal après idéal,
mon corps s’exclut, s’efface lentement de la ronde.
Mon esprit, en spectateur, le fuit en finale.
Et las du combat à refaire, à défaire,
à décrier, à rebâtir, à proscrire, à blâmer ;
je ne puis rester ainsi à me taire,
je n’ai envie que d’être et de savoir aimer.
Et comme une goutte d’eau dans son océan,
qui ne voudrait pas suivre le flux de la marée,
je suis là au bord du gouffre regardant le néant,
à contempler la vie en marge de la société.
Un instant de vie
La porte se referme sur cet azur infini,
comme pour faire disparaître un instant de vie.
Elle se clôt, pour restreindre une immensité,
un plaisir inassouvi, pour enfouir un passé.
Et las de ces minutes, au trot de ces secondes,
constamment, délicatement, je suis là, j’abonde
de souvenirs imbriqués dans une conscience athée.
Cet instant me marquera toute mon éternité.
Où je n’ai pas eu le loisir de te dire
tout le contentement de ce plaisir.
Mais ce jour de printemps a passé
comme un sourire dans un visage délaissé.
Une journée dans un café
Souriante avec un regard exaltant,
rempli de langueur, prophète de silence ;
ton environnement, ton aura me hantent.
Comme le sable du sablier qui s’écoule,
notre heureuse rencontre disparaît
et, grain à grain, l’absence réapparaît
comme à la mort d’une source qui ne coule.
Nos yeux se croisent sans dire.
Nos lèvres sont mortes à suivre
ce temps précieux, doucement ivre.
Et, goutte à goutte, inlassablement
nos délicates images s’embrouillent,
l’espace s’obscurcit, noir comme houille,
le temps s’envole inconditionnellement.
Le café fini, l’occupation revient,
la marche et les choses reprennent,
s’expriment.
Notre salaire est là, il en est la prime.
Une partie de nos vies ici s’éteint.
De par ta volonté
Comme chaque instant, qui ne veut disparaître.
Moi, inlassablement, je pense au temps connu.
J’attends passivement, pour te voir renaître
des jours ou des moments vécus qui nous ont plu.
J’ai la mémoire envahie de ton absence.
Mes rêves recréent le temps dévolu.
Je n’ai plus d’espoir, de gaieté, ni de défense ;
le vent a tourné, l’histoire est révolue.
Les sourires, les regards même posthumes,
tous ensemble, petit à petit, me consument.
Je ne peux croire, ne pas te réaliser.
Je meurs à penser ce plaisir dépassé.
Ci-gît
Hier, je suis né,
aujourd’hui je suis mort.
La vie n’a passé
qu’un instant dans mon corps.
Ce fut assez pour voir
la terre et sa misère,
avec toute la gloire
des hommes de prières.
J’aurais voulu tout connaître
de cette grande aire déserte.
De ces âmes saintes qui veulent naître
sur la glorieuse terre verte.
Mais hier, je suis né.
Aujourd’hui, je suis mort.
Je n’ai vu la vie s’arrêter
dans mon corps.
Ce fut assez pour voir
la folie des humains.
Assez pour croire
que Dieu en est vain.
Mère
Sur ses lèvres, un sourire m’a apaisé.
Dans mon cœur, une douce joie a éveillé
tout un univers qui n’est jamais surpassé
par le cœur des hommes, qui n’ont point su aimer.
Dans ma tête, de morbides petites choses
en mémoire d’une femme qui n’a pu survivre ;
s’étale dans mon cœur, comme une rose,
l’amour d’un pauvre homme à jamais ivre.
Cette femme qui m’a tant aimée, caressée,
c’est ma tendre mère, qui un jour m’a quittée,
c’est ma belle famille, qu’elle a dû délaisser.
Mais je ne peux concevoir cette tristesse,
là dans mon cœur, je pleure de finesse,
j’éprouve une souffrance, un désir révolté.
La neige
Oh !
Silence qui tombe,
caresse
de ta tendresse
mon ombre.
Que ton teint pâle
me prête son châle,
son visage de neige,
son corps de liège.
Oh !
Miraculeuse blancheur,
purifie la froideur
de mon univers.
Rêve musical
Sur l’harmonie d’une douce musique d’or,
près du vieux piano, chez nous, où s’endort
la fraîcheur légère d’une femme, ma sœur
qui joue des airs vagues et tristes qui m’émeuvent.
Le son bouscule la gamme des symphonies,
qui berce la pensée, le cœur de l’harmonie,
penche sur la triste terre, la vie, la mort,
le bonheur de vivre et la grâce du corps.
Alors que mon esprit s’évade dans l’extase,
je vois de multicolores fleurs qui se tassent
près des corbeaux, l’âme noire de la frayeur.
Mais la douce mort s’enfile dans mon grand rêve.
Mon sommeil aboutit à la fin de la sève
qui coule de l’arbre au printemps de la peur.
Il y a
Il y a la vie.
Il y a la mort.
Il y a le jour.
Il y a le soir.
Il y a le temps,
celui qui passe.
Il y a moi.
Il y a toi.
Il y a ce que je suis.
Il y a ce que tu es.
Il y a ce qu’il y a.
Il y a ce qu’il n’y a pas.
Il y a les jours.
Il y a les nuits.
Il y a la vie.
Il y a l’amour.
Il y a la mort.
Passent les jours, passent les semaines,
passe le temps ;
le temps de te dire,
le temps de te faire,
ce que j’avais à te dire,
ce que je désirais te faire.
Le temps de rêver,
le temps d’apprendre,
le temps d’aimer,
le temps de voir,
le temps d’écouter,
le temps de parler,
le temps de te plaire,
le temps d’apprivoiser le temps,
le temps de vivre.