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Le b.a-ba de toutes les connaissances

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La première réaction a été de m’insurger à propos de la banalisation que l’on attribue à cet outil qu’est le langage. Personne de mes connaissances ne conçoit que la qualité d’expression ainsi que la capacité de la pensée soient en fonction de l’usage qu’il possède de sa langue. Mais ce qui m’affecte le plus, c’est qu’aucun auteur connu n’a associé la langue à la culture, du fait que chaque mot est le b.a.-ba de toutes nos connaissances. Sans le mot, rien de cela n’existe. C’est avec le mot, son « signifié » et son « signifiant », que nous pensons. Pour parodier René Descartes  : Je suis fait de mots. Puisque je pense avec des mots et que ceux-ci forment ma culture, c’est-à-dire l’ensemble des connaissances dont je suis.

Mais le langage est bien plus que cela. Bien qu’initialement, sa fonction première fût de communiquer, il est vite devenu par son vocabulaire le réservoir exclusif de tout le savoir oral de l’humanité. L’humain, pour chaque figure qu’il définit collectivement, emmagasine un savoir, il le partage, et il en modifie le percept en un concept commun. Ce qui est remarquable, c’est que cela se fait dans toutes les sociétés. Cela est dû possiblement à la préexistence de cette pratique dans tout espace humain depuis des millions d’années. C’est la mémoire du langage qui différenciera l’humain de tous les autres animaux, d’autant que graduellement, il en définit et en uniformise l’expression, en structure l’usage et en raffine son développement lui permettant de devenir l’unique support à toute sa croissance culturelle.

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Ce n’est pas pour demain…

Comparons le développement du langage à l’histoire de la construction du pont. Selon les connaissances du moment, l’humain a certainement traversé une rivière à gué, puis il a circulé sur des pierres ajoutées et des arbres renversés. Par la suite, il s’est servi d’outils de flottaison, puis de radeaux et de canots. Au besoin de passage continu, il a bâti un pont de bois rigide, et plus tard, avec des cordages, il a fabriqué un pont suspendu. Ce cheminement représente bien l’application des connaissances d’un moment avec les moyens de ce temps pour établir la communication entre deux rives ou deux lieux. Initialement à une voie, c’est-à-dire à sens unique, plus tard, le pont permet les deux voies puis la haute vitesse, pour enfin disparaître et se fondre dans la voie de circulation alors que l’on en omet même la présence. Tel est le langage et son histoire. Mais il y a plus que cela, les différentes étapes de construction des ponts exigent des matériaux et des développements dans des domaines connexes, comme celui des mathématiques, de l’ingénierie, des modes d’exploitation de différents matériaux tels le bois, les cordes, les métaux, etc. Aussi, ces travaux auront un effet sur le langage, lui ajoutant au fur et à mesure de son déploiement plus de vocabulaire, plus de concepts, plus de tâches et d’artisans, et toutes les méthodologies qui en découlent. Bien que le pont témoigne du besoin de l’humain d’établir un lien permanent avec d’autres rives, il est une image symbolique, démontrant que le langage s’est développé au fil des apprentissages nécessaires à la réalisation de différents besoins et que la mémorisation de ces méthodes lui a permis d’arriver à ses fins, et qu’être perpétué, cela ne peut se faire qu’en étant inclus dans le vocabulaire qu’il emploie et qu’il promeut.

Bien des penseurs ont longtemps cru que le langage était un bienfait de la sélection naturelle. Qu’il avait été donné à l’humain en raison des avantages collectifs qu’il lui attribuait ! Ici, on est dans un dilemme. Je ne pense pas que l’humain respecte le modèle darwinien. Pour moi, le fait de parler n’a rien à voir avec la lutte contre les autres espèces et encore moins entre eux. Ce comportement qui consiste à communiquer des informations utiles entre les humains, à échanger des rapports d’altruisme et de collaboration et de coopération, n’a rien à voir avec les fondements de la lutte des classes et les principes de la pensée darwinienne. De plus, ma croyance ferme en l’accumulation culturelle qui fait suite aux échanges du langage est une anomalie biotique. Elle modifie continuellement le style de vie sans aucun autre besoin de transformation biologique. Elle rend caduc le principe même de la sélection naturelle, puisque tous y gagnent, du fait qu’ils partagent, communiquent et coopèrent.

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Ils partagent, ils communiquent et ils coopèrent.

La coopération repose sur trois grands principes. Le premier est hors de tout doute d’avoir un but commun. Le deuxième est de croire qu’une action ou une information procure un gain aux autres du fait de sa divulgation, tout en étant moins ruineuse personnellement que les bienfaits qu’elle rapporte, et en troisième lieu, que tous les alter ego sont crédibles et de confiance. Or, c’est bien différent du monde que l’on s’imaginait. La collaboration ne peut pas s’appuyer sur une mécanique mercantile. Elle est plutôt l’effet du bavardage et des liens que ces échanges futiles apportent aux intervenants, à l’exemple d’un jeu enfantin et possiblement de sa continuité dans le temps, créant ainsi des liens d’amitié, d’association et d’assistance. Il n’y a pas de calcul. C’est une expression qui ignore l’intention de l’échange. Ces gestes mineurs établissent une culture que l’on peut désigner comme étant une valeur « C ». Jour après jour, discussion après discussion, le langage se fait plus usuel, plus expressif et graduellement s’établit « C +  1 », puis « C + 2 », etc. Ainsi s’érige ce qui différencie l’humain de tous les autres animaux, le crescendo de sa croissance culturelle qui devient l’accumulation culturelle. Pour faire un pied de nez à Charles Darwin, biologiquement, l’humain n’a pas changé, mais la culture qu’il a bâtie a perpétuellement transformé sa vie.

Bref, les langues orales forment la culture, les langues écrites la stabilisent et l’uniformisent, alors que l’oralité développe une logique dialogique du fait que l’on réfléchit comme si on s’interrogeait, l’écrit l’extériorise en une conscience réflexible établissant la naissance du «moi conscient», une interrogation qui explose en diverses formules et qui fait naître de multiples dualités ou petits « moi ».

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